Entre l’Elysée et Matignon, frictions de com’ et tension de fond

Les gardes rapprochées des deux têtes de l'exécutif peinent à accorder leurs violons, sur fond d'omniprésence de Gabriel Attal.

Entre l’Elysée et Matignon, frictions de com’ et tension de fond

PARIS — Jeudi 4 avril, salle des fêtes, Palais de l’Elysée. Le président, comme à son habitude, a tenu à avoir un mot personnel pour chacun de ses anciens collaborateurs dont on fête le départ ce soir-là. Parmi eux : Vincent Caure, qui fut son chef de cabinet adjoint, et qui a rejoint le Quai d’Orsay lors du dernier remaniement gouvernemental. Mais aussi Charlotte Dewitte, conseillère parlementaire partie en février au ministère de la Santé, ou encore Frédéric Rose, l’ancien conseiller “intérieur et sécurité” du président, devenu préfet des Yvelines.

Emmanuel Macron croise alors le regard émeraude d’un autre ancien : Olivier Alexanian, chargé de la communication digitale à l’Elysée de 2021 à 2022. “Quand est-ce que tu reviens ?”, lui lance-t-il en substance.

Il n’en a pas fallu plus que la rumeur fasse le tour des boucles Telegram macronistes : la cellule com de l’Elysée s’apprêterait-elle à être remaniée ?

Après tout, si les choses vont mieux depuis le retour au bercail de Jonathan Guémas, ex-plume et actuel “conseiller spécial en charge de la communication” du président, les derniers mois n’ont pas été exempts d’interrogations sur la lisibilité de l’action de l’exécutif, et sur la bonne coordination entre l’Elysée et Matignon.

Plus ennuyeux : le soutien au chef de l’Etat se dégrade jusque dans le coeur de son électorat, à quelques semaines des élections européennes.

En réalité, Alexanian n’a pas eu de nouvelles depuis. Mais chacun sait qu’il est un ami de Guémas, qui formait, à la fin du dernier quinquennat, un tandem redoutablement soudé avec Clément Léonarduzzi, conseiller spécial (tout court) du PR.

Comme lui, Alexanian a suivi Léonarduzzi chez Publicis après la campagne présidentielle. L’hypothèse de son arrivée à l’Elysée circule depuis que le retour de Guémas a été annoncé. “Il ferait un bon bras droit…”, soufflait cette semaine un communicant de la majorité qui connaît les deux.

Télescopages

Âgé de 35 ans seulement, Guémas, un normalien ébouriffé, a fait son retour au Palais au mois de janvier, après des semaines de rumeurs sur le remplacement de Frédéric Michel, un ex-lobbyiste du groupe Murdoch, dont le passage à l’Elysée n’a pas laissé un souvenir impérissable en Macronie.

Ses relations avec le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, notoirement mauvaises pendant la campagne présidentielle, se sont aplanies, disent ceux qui les ont vus se parler en réunion. Les mêmes observent d’ailleurs avec soulagement que la presse n’a plus relayé, ces dernières semaines, de mesquineries à l’endroit de l’un ou de l’autre. Alleluia.

S’il a repris langue avec la presse politique, qu’il “traite” d’autant plus facilement qu’il est réputé pour sa nature aimable, et a mis sa patte sur le “récit” présidentiel dès la conférence de presse du chef de l’Etat au mois de janvier, il n’évite pas toutes les chausse-trappes.

En coulisses, on a jugé saugrenue, par exemple, l’idée de faire faire au président des déplacements sans presse en pleine crise agricole, attribuée au chef de cabinet du président, Rodrigue Furcy, quand bien même la démarche avait le mérite de contraster avec l‘excès de communication reproché à Gabriel Attal au même moment. Ancien préfet revenu au Palais il y a six mois, Furcy manquerait de sens politique, à en croire ses détracteurs.

Plus généralement, certains macronistes déplorent un manque de cohérence dans la communication des deux têtes de l’exécutif.

Fritures sur la ligne

Pas plus tard qu’en fin de semaine dernière, une succession d’annonces et de prises de paroles apparemment mal coordonnées a fait tordre quelques nez côté gouvernement.

Vendredi, Emmanuel Macron se déplaçait dans une école primaire à Paris, avec l’objectif de “reprendre la main” sur un sujet passé au second plan médiatique depuis le départ de Gabriel Attal du ministère de l’Education nationale. Mais ses annonces n’auront eu que peu de temps pour prospérer à la une de l’actualité.

Au même moment ou presque, Matignon prévenait l’Elysée de l’intention du Premier ministre de faire dans le week-end quelques annonces importantes sur le thème de la santé. Pas une surprise en soi, Gabriel Attal ayant fait quelques promesses en la matière dans sa déclaration de politique générale.

Reste que si le Palais “ne bloque pas” la demande, l’initiative est jugée malheureuse sur la forme, selon une source interne.

Parue samedi dans plusieurs titres de la presse régionale, l’interview fait même “partir en toupie” quelques conseillers du chef de l’Etat, racontent à posteriori deux témoins de l’affaire.

Et pour cause : l’Elysée aurait découvert le jour-même deux annonces qui ne figuraient pas sur la feuille de route de Gabriel Attal.

D’abord l’idée, à haut potentiel inflammable, de rendre possible un accès direct aux médecins spécialistes, sans passer par un généraliste. Ensuite le passage à 16 000 places en deuxième année d’études de médecine d’ici à 2027. “On ne sait pas d’où ça sort”, confie à POLITICO, perplexe, une source au sein de l’exécutif.

“C’est mal sorti”, se désole un communicant macroniste, avant d’énumérer les conséquences malheureuses du timing de l’interview, de son point de vue : entre autres, un manque de clarté sur la question des déserts médicaux et des annonces qui perturbent un peu plus les négociations déjà tendues en cours avec les médecins libéraux.

Autre dommage collatéral : les annonces d’Attal éclipsent en partie l’interview au Monde parue le même jour de la ministre en charge de… la Santé, Catherine Vautrin, sur le thème de la fin de vie — le texte, hyper sensible, étant attendu au Conseil des ministres quatre jours plus tard.

Ce alors que l’Elysée, qui cherche à mettre en avant des “annonces positives” ces jours-ci, tenait particulièrement à “sortir sur [le plan pour] les soins palliatifs”, d’après plusieurs sources au sein de l’exécutif.

Questions de timing

Comment expliquer ce manque de synchronisation apparent, alors que les équipes de l’Elysée et de Matignon se réunissent désormais pas moins de trois fois par semaine — sous différents formats — pour accorder leurs violons ?

Le directeur de cabinet du Premier ministre, Emmanuel Moulin, et son homologue de l’Elysée, l’encore tout puissant secrétaire général Alexis Kohler, se réunissent en outre une fois par semaine, avec leurs adjoints, pour “définir les séquences” des jours à venir.

Entre les deux hommes, des amis de longue date, le courant passe bien. La semaine dernière était bien censée être consacrée à la santé, nous a-t-on ainsi fait valoir côté Matignon. Certes.

Mais le Premier ministre a peut-être péché par excès de zèle. “Attal, il est moins contrôlable que ce que pensait l’Elysée avant de le nommer” résume sans détour une communicante macroniste. “Macron a un PM qui a appris à ses côtés, que voulez-vous”, commente encore la conseillère d’un ministre, sourire en coin.

Un autre membre de cabinet explique une partie du problème par le fait que le Premier ministre, communicant de métier, veille à toujours être en capacité de réagir à l’actualité et a l’habitude de gérer son agenda à quelques jours près seulement. Façon Manuel Valls, lui aussi un ancien communicant, du temps de son passage rue de Varenne.

Comme son prédécesseur, Attal est entouré d’une petite équipe de fidèles, ses “Power rangers” à lui. “Ils sont les conseillers de Gabriel Attal, pas les conseillers de Matignon” persifle le même collaborateur.

Sous-entendu : le chef du gouvernement et son entourage, en pointe pour mettre en musique l’action du Premier ministre et produire des séquences à fort impact, en négligeraient la partie du job qui se passe loin des caméras : veiller à la bonne coordination de l’ensemble du gouvernement… et au juste positionnement par rapport au président.

“Il n’a pas encore mis sa casquette de chef de la majorité”, tranche un cadre de Renaissance.